et pour toi
LE JASMIN
Un nom de fleur… Pour vous, ce n’est peut-être
Qu’un nom charmant, sans plus. Il en est tant!
Pour d’autres, c’est peut-être, à la fin du printemps,
Dans l’air tendre, un parfum qu’ils pensent reconnaître.
La fleur même… ils l’ont vue un jour; ils savent bien
Qu’elle est blanche et petite et rit aux heures chaudes
En la fraîcheur de retombantes palmes d’émeraude.
Mais, pour moi… de tout ce qu’elle est pour moi, nul ne sait rien.
Nul, s’il n’a, comme moi, contre sa joue,
Senti les fins petits doigts caressants
D’un arbuste penché dans le soir qui descend,
Et senti comment des étoiles se dénouent
Quand le vent joue avec des branches – nul, ailleurs,
Ou sous un ciel pareil, s’il n’a, pour une branche,
Pour une branche d’où glisse un bouquet d’étoiles blanches,
Connu la grâce d’un jardin sauvage et sa douceur,
Nul ne sait… Ô bijoux vivants, pétales
Faits de neige et de lait, de jeune émail,
De nacre ou d’ivoire si blanc, de blanc corail,
D’une chair de jacinthe ou d’ixaura si pâle,
Blancheur qu’à sa mantille, entre un œillet de sang
Et le jaune pompon d’une rose, l’Espagne,
La brune Espagne, veut comme au front blanc de ses montagnes –
Blancheur qui semble un talisman, blancheur en qui l’on sent
Quelque chose du cygne, des colombes,
De l’hermine – et qui vient, comme l’encens,
D’un sol qui brûle sous des cieux éblouissants.
Mon jasmin d’Orient! mon jasmin qui retombe
Du vieux mur que je sais dans un jardin gascon,
N’êtes-vous pas vraiment tout ce que j’imagine?
L’âme des citronniers, des lauriers-roses, des glycines,
Je la respire en vous comme sur un balcon
Tourné vers les pays des caravanes…
Je suis à la terrasse où des fleurs se défont
Comme des glands de perles sur vos fronts,
Graves petites filles musulmanes!
J’en tresse comme vous des colliers à sept rangs –
Et c’est un vieux marchand couleur de datte sèche
Qui me vendit hier ses flacons odorants
Pour asperger d’ardentes gouttes la nuit fraîche…
Et vous pouvez être là-bas, mon doux jasmin,
Rose comme la rose ou blond comme l’abeille.
- Le mimosa d’Égypte a des touffes pareilles,
Les roses d’Ispahan ont ces tons de carmin –
Mais vous restez pour moi du blanc des coquillages,
Minuscules cornets d’albâtre, cire en pleurs,
Miettes de clair de lune aux trous noirs du feuillage,
Fleurs de mon beau jasmin sauvage, dont le cœur
Semble caché dans l’étui blanc d’une veilleuse.
C’est blanc que vous voyait, le long de nos chemins,
Dans l’ensorcellement d’une journée heureuse,
Le grand poète (1) de chez nous, qui, brin par brin,
Vous cueillait, rameaux de Gascogne, pour sa Muse!
Tout blanc, vous vous tendez aux papillons qui musent
Autour de l’Ermitage (2), entre les espaliers.
Au chapeau du vieux puits vous mettez une aigrette;
Vous couronnez le toit penchant de Françonnette
Et, pour l’Aveugle, parfumez Castelculier (3).
C’est pourquoi, le Poète et vous, portez sans doute
Le même nom qu’une fée a choisi.
C’est pourquoi l’on vous veut, parant la route
De ceux qui vont, chantant les fleurs de leur pays.
Jasmin, jasmin d’argent, n’êtes-vous pas l’image
De l’étoile que les bergers suivaient avec les Mages?
La nuit a pris sa cape grise… Conduisez
À travers les jardins le long pèlerinage!
Qui donc verra jamais votre petit visage,
Si menu, si menu, sous les rameaux entrecroisés,
Tel que, moi, je le vois, sans même ouvrir la porte,
Sans même avoir besoin de regarder dehors,
Si c’est le temps du premier scarabée aux ailes d’or?
Vous êtes là… si c’est l’hiver, qu’importe!
Puisque, à mes yeux, vous ne vous fanez pas,
Mystérieux jasmin qui me parlez tout bas,
Puisque vous ne pouvez avoir pour moi de feuilles mortes.
(1) Le poète Jasmin, auteur de "Papillotes".
(2) Coteau dominant la ville Agen.
(3) Village de l’Agenais, évoqué dans un poème de Jasmin : « l’Aveugle de Castelculier ».
(Sabine Sicaud, Poèmes d’enfant, Poitiers, Cahiers de France, 1926)